Exposé de Damien NOËL (Bibliste)

RECOLLECTION DES DIACRES du DIOCESE D’EVRY

12/12/05  ND de l’Ouye

Le programme que j’ai reçu précisait la demande qui m’était faite en ces termes : Comment développer une culture de l’Appel en nous appuyant sur les textes de la Bible ? .

Dans un premier temps, je suis resté perplexe, surtout que l’expression culture de l’Appel, un tantinet jargonnante, n’était pas d’une grande transparence.

Ne voyant pas comment procéder, j’ai consulté les concordances AT et NT pour établir l’inventaire et visualiser les distributions du verbe appeler et des autres termes dérivés de la même racine, espérant voir surgir quelque inspiration devant l’allure des graphiques obtenus. Mais, en même temps, j’ai laissé l’énigmatique culture de l’Appel faire son chemin dans ma tête. Pour tout vous dire, la situation s’est débloquée vendredi matin vers 4h15 et, depuis, l’ordinateur est chauffé au rouge.

En quoi consiste le miracle ? C’est très simple, il suffisait de poser la question : y a-t-il déjà dans la Bible une culture de l’Appel, au sens du programme de cette retraite ? Comme j’avais sous les yeux toutes les occurrences, avec les graphiques illustrant les distributions, indiquant du même coup les lieux bibliques intéressants par la concentration des termes, la réponse était facile. Il est d’ailleurs amusant, après coup, de constater qu’on disposait, sans le savoir, de bonnes réponses à des questions qui n’avaient pas encore été posées. C’est ce que l’on pourrait appeler l’effet Bourrel, dont l’inventeur est l’inspecteur du même nom qui, disposant de toutes les données de l’enquête, finit par conclure : « Bon sang ! mais c’est bien sûr ! », parce qu’il trouve enfin, non pas la réponse, mais la question qu’il fallait poser…

Restait à trier pour éviter les encombrements. En effet, rien que dans le NT, j’ai compté 461 occurrences de la racine appel : appeler, inviter, convoquer, interpeller, nommer, désigner, élire, appel, vocation, Eglise. Il fallait aussi prévoir que l’intervention allait tomber dans une tranche horaire comparable à ce que les navigateurs à voile appellent encore aujourd’hui le Pot-au-Noir, zone réputée pour ses calmes qui font baisser la moyenne.

Oui, il y a une culture de l’appel dans la Bible, très élaborée même, preuve que le thème faisait travailler les méninges antiques, juives et chrétiennes. On en tient la preuve dans la production de récits spéciaux qu’on appelle récits de vocation, ainsi que dans des discours théologiques qui visent à éveiller leurs auditeurs au sens d’un appel individuel et communautaire.

J’ai donc réduit l’espace à trois objets : les récits d’appel dans l’évangile de Marc, l’Eglise qui signifie « convocation », et trois récits de vocation prophétiques construits sur un même modèle, qui ne laissent pas d’inquiéter, histoire de nous rappeler que, comme toute culture, celle de l’appel s’expose à de terribles intempéries, parce que cet appel est terrible, dans tous les sens du terme.

1 DES RECITS TRES PARTICULIERS

Les récits d’appel comptent parmi les plus forts de la Bible et ils sont relativement nombreux. Ce sont rarement des scènes prises sur le vif, plutôt des rétrospectives composées longtemps parfois après l’entrée sur la place publique des intéressés. Dans l’AT, Abraham, Moïse, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Amos (7,14), sont directement appelés par Dieu. Dans le NT, quelques apôtres font l’objet d’un épisode particulier : André, le premier appelé d’après Jn 1,40, Simon, Nathanaël, Jacques et Jean, Matthieu, puis les douze ensemble comme en Mc 3,13-19 où, après deux appels modestes dans leur forme (Mc 1,16-20 ; 2,13-14), la scène retrouve une ampleur intentionnelle : Jésus monte sur la montagne, il appelle ceux qu’il veut, il en établit douze (ποιεω, v 14.16), il les envoie prêcher avec pouvoir de chasser les démons.

On constate ainsi que les récits d’appel présentent la propriété congénitale, pourrait-on dire, de donner lieu à des scénarios dépouillés tel Mc 1,16-20 ; 2,13-14, aussi bien qu’à des scénarios solennels du genre Mc 3,13-19. Pareille propriété indique à l’évidence que les communautés juives et chrétiennes ont cultivé ce genre spécifique qu’est le récit d’appel, comme scène inaugurale, fondatrice, légitimatrice, désignant un événement-référence pour décliner une identité et en perpétuer la mémoire.

Ce singulier phénomène éveille notre curiosité et mérite notre attention : il importe de relever et d’analyser tout ce qui peut apparaître et donner à penser dans la lecture de ces récits d’appel. A la condition, cependant, que nous prenions une certaine distance vis-à-vis du texte évangélique pour interroger librement et calmement ce qu’il  présente à notre lecture. Par exemple, en partant du plus immédiat pour aller vers le plus subtil on posera les questions suivantes :

  Pourquoi ces scènes d’appel se trouvent-elles au commencement des évangiles (Mt 4,18-22 ; 9,9 ; Mc 1,16-20 ; 3,13-19 ; Lc 5,1-11.27-28) ?

  Que signifie la présentation de l’institution des douze pourquoi douze ? – comme un événement concernant non seulement des individualités mais aussi un collectif constitué par Jésus ?

 On pourrait en poser d’autres, ces deux là nous suffisent. A ces questions, on essayera de répondre en invoquant des textes évangéliques, surtout les trois textes de Marc sur les appels d’apôtres.

L’évangile de Marc, le plus simple dans sa structure, au point qu’on pense y trouver le schéma de base de la rédaction des évangiles, commence par Jean-Baptiste (1,1-8), le baptême de Jésus (v 9-11), les tentations au désert (v 12-13), la proclamation inaugurale de Jésus (v 14-15). Vient alors le premier appel (v 16-20). Avant d’en arriver là, il a fallu présenter Jésus, le mettre en scène directement ou indirectement pendant 15 versets, section dans laquelle son nom ou sa personne occupent 12 versets. Au passage, nous observons que Jésus ne s’autoproclame nullement. Le rôle de Jean-Baptiste est justement de proclamer l’avènement d’un autre. De même, la scène du baptême de Jésus est l’occasion de faire entendre la voix de Dieu qui le désigne comme son Fils et de faire apparaître sur lui l’Esprit. Ainsi désigné, il est éprouvé au désert, après quoi il peut paraître sur la place publique et délivrer son message. J’attire votre attention sur le caractère solennel des v 14-15. Il s’agit visiblement d’une scène inaugurale, programmatique pourrait-on dire, dont le contenu de réalité n’est pas celui d’une scène particulière qui se serait déroulée comme telle à ce moment. Ces deux versets sont un porche d’entrée dans la vie ministérielle publique de Jésus. Et, précisément, une fois le ton donné par cette proclamation initiale, la première scène de cette vie publique est l’appel de quatre marins pêcheurs : Simon, André, Jacques et Jean.

Pourquoi y a-t-il urgence à placer cette scène, sinon tout au début de l’évangile, du moins à quelque distance du début, pas trop loin tout de même ? Parfaitement vaine serait la réponse : parce que ça s’est passé à ce moment là ! Au début, donc, mais pas tout à fait, à petite distance, disions-nous, voyons cela de plus près.

Dans le premier récit, on entend l’écho de « deux vagues » d’appel : celui des deux premiers, Simon et André, et des deux suivants, Jacques et Jean. Ces quatre-là forment le noyau de base de l’équipe. La scène est sobre, bien localisée le long de la mer de Galilée, le calembour pêcheurs d’hommes a toutes chances d’être authentique dans la bouche de Jésus. Les hommes appelés sont décrits de manière emblématique, c’est-à-dire stéréotypée : en train de jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs, ou bien pour les deux suivants : dans leur barque en train d’arranger leurs filets. Le seul « dérapage », si l’on peut désigner ainsi le maintien d’un détail non essentiel, serait : laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers. Encore a-t-il certainement sa raison d’être, mais elle nous échappe aujourd’hui. Le déroulement des deux épisodes est également très schématique : Jésus, des hommes sommairement présentés, un appel, une rupture, une adhésion. Sous la sobriété des deux épisodes, on pressent que les détails ont été écrêtés, lissés, restructurés pour ne laisser que l’essentiel à faire entendre aux destinataires. Ce n’est donc pas d’abord un reportage, mais un message procédant d’une relecture. A partir de ce moment, les quatre appelés suivent Jésus, ils le voient, l’écoutent, participent à ses aventures, même s’ils ont parfois du mal à comprendre.

Le troisième appel est celui de Lévi, le publicain (Mc 2,13-14). On nous répète que Jésus s’en alla de nouveau au bord de la mer comme s’il allait, lui aussi, à la pêche en appelant ses apôtres. Même schéma, même sobriété. Le portrait de l’homme se réduit à son métier : assis au bureau des taxes.

Arrive enfin la grande scène solennelle de Mc 3,13-19.

13 Il monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui 14 et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher 15 avec pouvoir de chasser les démons. Le mot à mot dit : il les créa douze pour qu’ils soient avec lui, et pour qu’il les envoie proclamer (καί έποιεσεν δωδεκα ϊνα ωσιν μεταυτου και ινα αποστέλλη αυτους κηρυσσειν). On trouve ici la réponse à la question : appelés pourquoi ?

16 Il établit les douze : Pierre c’est le surnom qu’il a donné à Simon –, 17 Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques et il leur donna le surnom de Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre , 18André, Philippe, Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée et Simon le Zélote, 19 et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra.

Douze : jusque-là on n’en connaissait que cinq, appelés en trois épisodes, la liste s’allonge de sept inconnus : Philippe, Barthélémy, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélote, Judas Iscarioth. L’évangile de Jean donne des précisions sur Philippe, Barthélémy, Thomas. Mais l’originalité est dans l’expression : il les fit douze, propre à Marc (cf Mt 10,1-4 ;  Lc 6,12-16), au v 14, répétée au v 16. Marc a la réputation d’écrire un mauvais grec. On ne lui fera pourtant pas l’injure de lire ici un simple barbarisme. Avec cette douzaine, Marc entend bien nous dire que Jésus crée (sens du verbe grec ποιεω) une réalité nouvelle, dont le chiffre symbolique renvoie au peuple d’Israël, et que l’on appellera plus tard Eglise.

 

Il surnomma (έπεθηκεν) : trois appelés voient Jésus leur imposer de nouveaux noms : Simon devient Pierre, Jacques et Jean deviennent fils du tonnerre. Ce ne sont pas des sobriquets. L’appel est parfois marqué d’un changement de nom. En hébreu, en grec et en français, le verbe appeler signifie inviter, interpeller, mais aussi nommer. Dans ce dernier cas, il arrive que le verbe nommer soit proprement synonyme de créer, faire exister.

 

2 L’EGLISE : UNE CONVOCATION

Après la partie trinitaire, nos actuels symboles de foi passent à l'ecclésiologie : Je crois en l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. D'où viennent ces mots, que signifient-ils ? Comment cet article du Credo s'enracine-t-il dans le NT ? La sécheresse et l’opacité des concepts ne peuvent-elles pas s’assouplir et s’enrichir à la lumière de Mc 3,13-19 ? Oui, à condition d’entendre sous le terme apostolique autre chose qu’une simple référence hiérarchique et disciplinaire. Car apostolique, au sens évangélique du terme, renvoie à l’appel individuel et collectif qui constitue le corps ecclésial dans sa totalité. Il y a des apôtres et des successeurs d’apôtres, certes, mais si toute l’Eglise se professe apostolique dans un symbole de foi, c’est pour dire quelque chose de sa nature profonde  dans sa totalité, pas seulement de son appareil ! Cet article de foi vaut donc pour tous et signifie qu’on est appelé ensemble, église = convocation, de latin cum + vocare, appeler avec.

a origine et signification du mot église : έκκλησια = ecclesia = assemblée convoquée, d’une racine grecque dont dérive le verbe kaleô qui signifie appeler, inviter, désigner, nommer. L'antécédent dans l'AT est la racine hébraïque qhl dont dérivent un verbe (qàhal) qui signifie au réfléchi : se rassembler, s'assembler, au factitif : rassembler, convoquer[1], et un nom (qàhàl) qui s'applique notamment à l'assemblée du désert (surtout Nb et Dt). Il est traduit en grec par synagôgè = synagogue, qui désignera plus tard dans le judaïsme à la fois l'assemblée et le bâtiment où elle se réunit, comme c'est le cas pour le mot église en français.

 

Dans le NT, le nom église n'apparaît que 3 fois seulement, et dans un seul évangile : Mt 16,18  18,17.17, mais 114 fois ailleurs : Ac = 23  1 Co = 21  Ap = 20  Ep = 9  2 Co = 9  Rm = 5  Col = 4  Ga = 3  1 Tm = 3  3 Jn = 3  1 Th = 2  2 Th = 2  Ph = 2  He = 2  Phm = 1  Jc = 1 (total = 117).

Cette distribution indique un terme certainement tardif dans la langue chrétienne, qui n'a que peu de chance de remonter à Jésus. On remarque en effet que les trois occurrences de Mt se répartissent en deux emplois de sens différent. En 16,18, mon église est déjà théologiquement chargé, alors qu'en 18,17 il s'agit d'une assemblée locale qui est investie d'une responsabilité d'arbitrage et de discipline. Ces deux versets supposent une Eglise établie et organisée, et ne correspondent à aucune réalité ecclésiale contemporaine de Jésus. En dehors des trois occurrences de Mt, le terme Eglise est surtout fréquent dans les adresses et les salutations des lettres, ou dans les désignations des Actes et de l'Apocalypse, il est plus rare dans les développements théologiques.

L'emploi le plus ancien pourrait être 1 Th 1,1 : l'Eglise des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ, désignation qui revient à plusieurs reprises dans les lettres pauliniennes[2]. Le terme serait donc apparu pour désigner les communautés locales fondées entre 33 et 51. On peut penser que cette désignation s'explique par le besoin de se démarquer du rassemblement cultuel juif déjà appelé synagogue (= assemblée).

b convocation à qui ? : voir les paraboles de l’invitation : noces, festin  Lc 7,39 ; 14,7.8.8.9.10.10  Ap 19,9. Deux points d’insistance retiennent spécialement notre attention :

Mt 9,13 // Mc 2,17 // Lc 5,32 : car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs.

 

Lc 14,12.13.16.17.24 : invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles (…) amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux (v 21).

Il n’y a pas photo : ces deux catégories relèvent éminemment du ministère diaconal.

c convocation à quoi ? : Rm  8,28-30 sorite  11,29 : don et appel de Dieu irrévocables ;  1 Co 1,2 : appelés à être saints ; 9 : appelés à la communion ; 24 pour ceux qui sont appelés, Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu ; 7,15 : c’est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés ; 17-18.20.21.22 : que chacun vive dans la condition où l’a trouvé son appel ; Ga 5,13 : appelés à la liberté : Ep 1,18 : espérance que donne son appel ; 4,1 : accorder la vie à l’appel ; 4.4 : appelés à une seule espérance ; Ph 3,14 : s’élancer vers le but en vue du prix attaché à l’appel d’en haut ;  Col 3,15 : appelés à la paix du Christ ; 1 Th 2,12 : Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire ; 4,7 : appelés non pas à être impurs, mais pour vivre dans la sainteté ; 2 Th 1,11 : être trouvés dignes de l’appel ;  2,14 posséder la gloire ;  1 Tm 6,12 : appelé à la vie éternelle ; He 3,1 : vocation céleste ;  5,4 : fonction reçue par appel ;  9,15 : héritage éternel ;  11,8 : Abraham part ;  1 P 1,15 : celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints ; 1 P 2,21 : souffrir avec patience, appelés à cela ; 3,9 : bénissez, appelés à cela ; 5,10 : gloire éternelle ;  2 P 1,10 : affermir votre vocation ;  Jd 1 : ceux qui sont appelés ;  Ap 17,14 : les appelés vaincront.

d convoqués par qui ? : Rm 9,12 : Celui qui appelle procède par libre choix ; 24 : nous qu’il a appelés non seulement d’entre les Juifs mais encore d’entre les païens ;  1Co 1,9 : il est fidèle le Dieu qui vous a appelés à la communion ;  7,15 17 18 20 21 22 22 24 : Dieu nous appelle dans la condition où nous trouve son appel ;  Ga 1,6 : appelés par la grâce du Christ ; 15 : mis à part et appelé par sa grâce ; 5,8 : celui qui vous appelle ;  1 Th 2,12 : Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire ; 5,24 : celui qui vous appelle est fidèle ; 2 Tm 1,9 9 : appelés par un saint appel ; 1 P 1,15 : celui qui vous a appelés est saint ; 2,9 : celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière ;  2 P 1,3 : appelés par sa propre gloire et sa force agissante.

3 UN APPEL TERRIBLE

RECITS DE VOCATION PROPHETIQUE : Is 6 ; Jr 1,4-19 ; Ez 1,1 - 3,15

Eléments stables :

 

Is 6

Jr 1,4-19

Ez 1,1 3,15

Date

1

 

1,1.2

Lieu

1.4.6

 

1,1.3

Mode

vision

parole

vision

Réaction

5

6

 

Qualification

6-7

9-10

2,8 3,3

Envoi

8-9

7.17-19

2,3  3,4.11

Mission impossible

9-13

 

2,4-5  3,7

Remarques

Is 6 : L'ordre des scènes comprend la théophanie (vv 1-7) à laquelle s'incorporent la réaction du prophète (v 5) et sa qualification (v 6-7), puis l'envoi (v 8-9) et l'avertissement portant sur la difficulté de la mission (v 9-13).

La vision inaugurale est localisée dans le temple de Jérusalem.

L'appellation le Roi appliquée à Dieu est certainement le premier cas de désignation de YHWH comme roi dans la Bible.

Jr 1,4-19 : Aucune date n'est donnée à la vocation et pour cause, puisque celle-ci transcende le temps (v 5). Le prophète n'est pas appelé, mais consacré et établi dès avant sa naissance. Aucune purification préliminaire ne s'impose donc. Ces particularités s'expliquent par la théologie de la Parole qui inspire ce récit. On pense que Jérémie commence à prophétiser sous Josias, vers 620.

Les visions inaugurales de Jérémie ne portent pas directement sur Dieu et la cour divine mais, symboliquement, sur Dieu veilleur (branche d'amandier, première fleur du printemps) et les événements de l'histoire (la marmite qui bouillonne et penche au Nord). Jérémie se place immédiatement au niveau international comme prophète de nations (v 5.10). L'activité de Jérémie est marquée par l'avance de Babylone et l'inutilité de toute résistance face à ce rouleau compresseur.

Les verbes qui caractérisent la prophétie de Jérémie : arracher renverser, exterminer démolir, bâtir et planter forment des couples antithétiques qui empruntent leur sens à l'agriculture et au bâtiment. Leur radicalisme s'explique également par la théologie de la Parole qui ne laisse que deux issues à l'histoire, la vie ou la mort (cf Dt 18,18-20).

Ez 1,1 - 3,15 : Le récit provient d'un contexte primitif et ce déplacement ne permet plus d'identifier la trentième année (1,1). En dépit de cette obscurité, la date de la vocation est donnée avec une précision caractéristique du milieu sacerdotal. La cinquième année d'exil du roi Joiakin est 594-593. Ezéchiel est un prêtre (1,3) déporté en Babylonie après la première prise de Jérusalem (597). Il commence à prophétiser en Babylonie (1,3).

Compliquée dans ses détails, la vision inaugurale présente quelques points de contact avec celle d'Isaïe. Ezéchiel s'inspire vraisemblablement de l'iconographie mésopotamienne (animaux ailés, kerubim etc) pour nous dire finalement que tout ceci ressemble fort à la gloire de YHWH (1,28). Dieu peut parler en terre étrangère, car il n'est pas lié au temple mais à la communauté (Ez 11,22-23).

La vision et la manducation du livre (théologie de la Parole) qualifient le prophète. Pour le reste, l'objet de la communication de Dieu est semblable à celui d'Is et de Jr.

 Les propos d’Is 6,9-13 ont sans doute retenu l’attention de Jésus puisqu’on les retrouve placés dans sa bouche, en Mt 13,10-15 // Mc 4,10-16 // Lc 8,9-10.

 Le paradoxe de la mission impossible clairement évoqué par Isaïe et Ezéchiel, atteint son paroxysme dans la parabole des vignerons dits homicides : Mt 21, 33-46 // Mc 12,1-12 // Lc 20,9-19.

Il ne faut pas se leurrer sur la véritable dimension de l’appel chrétien : il est incontestablement pascal, c’est-à-dire envoi au casse-pipe, à la stérilité apparente et, outre ces épreuves, celui qui répond à l’appel s’expose même à ne plus comprendre où veut en venir le Dieu qui l’appelle, qu’il s’agisse d’un simple prophète ou du Fils de Dieu en personne. Sur ce dernier point, je vous renvoie à des scènes et à des paroles bien connues qui montrent l’obscurité dans laquelle Jésus s‘avance, quoi qu’il en soit de sa parfaite vision du Père (prière à Gethsémani : Mt 26,36-46 // Mc 14,32-42 // Lc 22,40-46 ; Eli, Eli, lama sabactani : Mt 27,46 // Mc 15,34).

Sous un autre angle, cette apparente contradiction, ou ce paradoxe, caractérise aussi le discours tenu par 1 P 2,21-25 et 3,9. Ici, l’apôtre fait référence au Christ comme le modèle du serviteur souffrant (v 21).

CONCLUSION

Un tableau de données accompagné des graphiques que l’on peut en tirer montre comment l’Eglise du NT a développé sa « culture de l’Appel » : l’essentiel des occurrences du verbe se trouve dans les évangiles et les Actes, parce qu’elles apparaissent essentiellement dans des récits ; en revanche, la littérature épistolaire, quantitativement moins fournie, s’avère qualitativement plus riche par la modulation que permettent les termes susceptibles de graviter autour du verbe, qu’ils soient sujets (celui qui appelle), compléments directs (ceux qu’on appelle) ou compléments circonstanciels (appelés à quoi) ou autour des noms et adjectifs qui qualifient celui qui appelle, ceux qui sont appelés et à quoi ils le sont. Le thème de l’appel peut ainsi servir l’anamnèse : rappelez-vous votre appel, voyez quel appel vous avez reçu, etc… ; la parénèse : votre appel ouvre de telles perspectives qu’il faut vous lancer ; l’éthique, enfin : comportez-vous logiquement avec l’appel reçu.

A bien le considérer, pareil inventaire est proprement impressionnant. Peu nombreux sont en effet les livres où manque totalement cette terminologie : Ti, Phm, 2 et 3 Jn. On doit en conclure que la « culture de l’Appel » est non seulement très répandue dans le premier christianisme, mais qu’elle en est une arme essentielle de propagande et de motivation. La meilleure preuve que l’on puisse apporter est l’usage du terme Eglise par lequel les communautés et leur ensemble se sont désignés, c’est-à-dire assemblée convoquée, et non simplement rassemblement.

L’Eglise ne saurait négliger cette arme absolument vitale pour elle, même si transmettre un appel est une opération lourde de conséquences. Il s’agit en effet de proposer un sens, d’appeler à une décision, d’inviter à intégrer un collectif, de devenir soi-même appelant etc… Ne plus appeler, ne pas savoir appeler, hésiter à appeler sont des symptômes qui interrogent notre propre tonus ainsi que nos analyses. Aussi, la Parole de Dieu, si elle se veut le plus fréquemment positive en cette matière, n’omet pas pour autant l’avertissement qu’on lit en Mt 20,16 (plusieurs manuscrits portent ici ce logion) et 22,14 : certes, beaucoup sont appelés (κλητοἰ), mais peu sont élus (έκλητοἰ).

Cet avertissement n’est pas obligatoirement rabat-joie. Si Jésus nous l’adresse, c’est pour que nous nous appropriions l’appel reçu, que nous le ratifiions et que nous nous en tenions responsables, de manière à éviter, comme dit la chanson, que les feuilles mortes se ramassent à l’appel.

L’appel dans le NT

OCCURRENCES DE καλέω DANS LE SENS DE VOCATION, APPEL DE DIEU, DU CHRIST

APPEL invitation

APOTRES

PECHEURS

NOCE

PAUVRES

Mt 2,7 2,15 (Os 11,1)  20,8 16  25,14

Mc 3,31

Lc 7,32 39 14,7 8 8 9 10 10  19,13

Ac 2,39  4,18  16,10   24,2

Mt 4,21 10,1

Mc 1,20  3,13  6,7

Lc 9,1

Ac 13,2

Rm 1,1 

1 Co 1,1 

Mt 9,13 

Mc 2,17

Lc 5,32

Mt 22,3 3 4 8 9 14 14

Lc 14,16 17 24

Jn 2,2

Ap 19,9

 

Lc 14,12 13

eglise

CELUI QUI APPELLE

APPEL REçU

APPEL A LA VIE, LA PAIX, LA LIBERTE, LA GLOIRE …

EXHORTER

Mt 16,18  18,17 17

100 fois dans le reste du NT,  total = 103 x

 

Rm 9,12 24  1Co 1,9  7,15 17 18 20 21 22 22 24 

Ga 1,6 15  5,8

1 Th 2,12  4,7  5,24

2 Th 2,14

2 Tm 1,9 9 (saint appel)

1 P 1,15  2,9

2 P 1,3

Rm 1,6 7  8,28  11,29

1 Co 1,2 9 24  26  7,17 18 18 20 21 22 22 24

Ep 4,1 4 4

Ph 3,14

2 Th 1,11  2,14

He 3,1  5,4  9,15  11,8

1 P 2,21  3,9

2 P 1,10

Jd 1

Ap 17,14

Rm 4,17  8,30 30

1 Co 7,15

Ga 5,13

Col 3,15

1 Tm 6,12

Ep 1,18

1 P 5,10

1 P 5,1


[1] deux noms (qàhàl, qehillâh) signifient assemblée, et un troisième, de forme féminine, Qohélet, désigne un livre biblique encore connu en français sous le nom d'Ecclésiaste.

[2]  ainsi 1 Th 2,14 : « les Eglises de Dieu dans le Christ qui sont en Judée ». Le terme apparaît fréquemment au pluriel : « les Eglises de Dieu », « les Eglises de Judée » (Ga 1,22), « les Eglises de Galatie » (Ga 1,2), « les Eglises de Macédoine » (2 Co 8,1), « les Eglises des saints » (1 Co 14,33) etc... 2 Th 1,1.4  Ga 1,13.22 reprennent cette même titulature, avec de légères variantes.

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